Nous avons vu dans les derniers articles pourquoi certains animaux sont agressifs chez le vétérinaire, et comment réagir face à cela. L’idéal est bien sûr d’anticiper, pour ne pas atteindre le niveau de peur qui cause le déclenchement de ce comportement agressif chez notre patient.
Mais ce n’est pas toujours possible : on se fait parfois surprendre, certains animaux arrivent déjà extrêmement stressés dans nos cliniques, on n’a pas toujours le temps de laisser l’animal se calmer…
Alors une fois l’animal dans tout ses états, difficile de réagir autrement qu’en s’énervant contre lui, et en pestant contre son propriétaire qui aurait dû l’éduquer mieux que ça.
Bien sûr, si tous les propriétaires entrainaient leurs animaux aux soins coopératifs, en prévoyant tous les contextes survenant en clinique, les choses seraient tellement plus simples… Mais comme on vit dans le monde réel, on doit faire avec.
PRINCIPALE CAUSE DE L’AGRESSIVITÉ : LA PEUR !
On le rappelle, en clinique, la douleur et la peur sont les deux causes très majoritaires de déclenchement de comportements agressifs, isolément ou en association.
Le comportement est donc intimement lié à l’émotion sous-jacente.
THÉORIE DE L’APPRENTISSAGE : QUELQUES RAPPELS.
En éducation, face à un comportement, deux options s’offrent à nous :
Le renforcer, pour le voir se produire plus souvent : soit en faisant survenir une conséquence agréable (donner une friandise, laisser le chien s’approcher de son propriétaire…), soit en retirant un élément désagréable (arrêter une manipulation stressante, faire descendre de la table d’examen, s’éloigner de l’animal à qui on fait peur…).
Le punir, pour le faire disparaître : soit en retirant un élément agréable (faire s’éloigner le propriétaire, retirer le couvercle de la cage de transport qui apportait un sentiment de sécurité…), soit en ajoutant une conséquence désagréable (crier, intimider, contenir, voire frapper).
Remarque : une autre option est possible : ne rien faire. Si le comportement n’a aucune conséquence, ni agréable, ni désagréable, l’animal cessera de le produire. Mais dans les faits, ça n’arrive à peu près jamais. Même si on ignore royalement le chien qui aboie, il se peut qu’il aime simplement aboyer. Ce comportement sera donc à « renforcement interne » : peu importe la conséquence externe, il y aura toujours la récompense interne que représente le plaisir de faire ce comportement.
Ces conséquences, agréables ou désagréables, ont différentes caractéristiques :
Elles se produisent qu’on le veuille ou non : on peut choisir de renforcer ou punir un comportement, mais il arrive aussi qu’on le fasse involontairement. Exemple : le chat jette la patte pour nous griffer (but : nous faire reculer), on recule la main pour l’éviter (objectif du chat atteint), on aura renforcé ce comportement d’attaque. Le chien aboie dans sa cage (but : ne plus être seul dans le chenil), on entre dans le chenil pour lui dire de se taire (objectif du chien atteint), on a encore une fois renforcé ce comportement…
La valence « récompense » ou « punition » de la conséquence dépend de l’individu qui la reçoit. En effet, peu importe que l’on veuille récompenser ou punir. Ce qui compte, c’est ce que perçoit l’animal. Exemple : le chat a peur de nous mais il reste immobile à notre approche. Pour cela, on veut le récompenser donc quand on arrive à sa hauteur, on le caresse. Or une caresse de la part de quelqu’un qui fait peur est une conséquence désagréable du point de vue du chat. On l’a donc puni d’être resté immobile à notre approche.
De même, si plusieurs conséquences surviennent en même temps suite au comportement, celle qui prédominera dépendra de leurs valeurs respectives aux yeux de l’animal. Dans l’exemple du chien seul au chenil qui se met à aboyer, si on entre au chenil pour lui crier de se taire, on ne sait pas si la punition (crier) sera plus importante que la récompense (notre entrée dans le chenil). Seul le fait de voir si le chien augmente ou diminue son comportement apporte cette réponse…
L’action (punition ou renforcement) ne s’applique qu’au comportement, partie consciente du problème. Mais les émotions ne pouvant pas être contrôlées, elles ne peuvent pas être renforcées ou punies.
Imaginez que vous ayez peur des araignées. D’un coup, une mygale apparaît à 3m de vous. Vous sursautez et vous criez. L’ami qui se trouve à côté de vous vous met soudainement une claque. Surpris, vous vous taisez. Peut-on dire qu’il a puni votre peur ? Si c’est le cas, vous auriez donc moins peur des araignées suite à cela ? N’aurait-il pas plutôt puni votre comportement, associé à la peur ? Et alors, si une telle situation se présente de nouveau, que se passera-t-il ? Dans tous les cas, vous aurez toujours peur des araignées. Vous aurez en plus peur de vous prendre une nouvelle claque de la part de votre ami (qui n’en sera plus un très rapidement…). Donc peut-être qu’effectivement, vous n’oserez pas crier (et encore, cela supposera que vous ayez plus peur de la claque que de l’araignée, ce n’est pas certain…). Mais imaginez l’émotion que vous vivrez…
Et ensuite, la fois où vous tomberez de nouveau sur cette araignée sans que votre « ami » ne soit présent ? Vous risquez d’être extrêmement violent envers l’araignée, bien plus que ce que vous auriez fait au départ, du fait de toute cette peur et frustration accumulées lors des précédentes situations.
A l’inverse, si votre ami vous avait rassuré, en vous disant qu’il allait s’occuper de cette bestiole et qu’elle ne vous approcherait pas, vous auriez peut-être crié un peu plus longtemps que ce que la claque a pu produire. Mais une fois que vous auriez vécu cette situation une fois ou deux, vous auriez pris confiance en votre ami, sachant qu’il gérait cette situation. Ayant moins peur, vous auriez aussi arrêté de crier. Et si en plus, à chaque fois que l’araignée apparaissait, votre ami vous offrait une glace, vous pourriez même finir par trouver que cette araignée présente au loin là-bas est peut-être une bonne nouvelle…
Conclusion : on peut renforcer ou punir un comportement, pas une émotion.
Et une fois que l’émotion n’est plus négative, les comportements associés pourront facilement être éteints s’ils ne disparaissent pas d’eux-mêmes…
ALORS ON NE PUNIT PAS LE CHIEN QUI GROGNE ?
Même si on le prend mal, c’est « juste » une expression de sa peur, pas une insulte personnelle.
Le punir masquera uniquement l’expression de cette peur, avec le risque qu’elle rejaillisse très fortement le jour où quelque chose l’augmentera : peur aggravée par une douleur, par une situation différente (absence du propriétaire, acte plus invasif…) (rappelez-vous l’histoire de l’araignée…). On ne pourra jamais faire confiance à cet animal, qui sera comme une cocotte-minute, près à exploser.
A l’inverse, si l’on réussit à montrer au chien qu’en cas de peur, on l’entend sans qu’il n’ait besoin de monter très haut dans les tours, on construit avec lui plus de confiance. Et avec cette confiance, il nous laissera faire plus de choses, même stressantes.
Puis tant que le chien est assez calme, par un savant jeu de renforcement/punition (exemple : tu bouges = je maintiens ma contention douce, tu te calmes = je te relâche), on peut progressivement apprendre à nos patients à se laisser faire. Et si la technique est bien maîtrisée, cela ne demande pas des mois d’entraînement, mais peut se passer en quelques minutes au cours de la consultation…
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