Dans les deux premiers articles de cette série, nous avons vu que face à un animal agressif, il fallait avant tout :
Mettre en place tout le nécessaire pour permettre d’assurer la sécurité de chacun,
Garder son calme (ce qui n’est possible que si on est en sécurité…), pour éviter d’aggraver la situation et de faire passer un mauvais moment à tout le monde.
Mais une fois que l’on a fait ça, on n’a toujours pas fait le soin que l’on devait faire à l’animal… Alors, que fait-on ensuite?
ADAPTER NOTRE APPROCHE :
On a voulu faire un acte qui a fait peur à notre patient et a déclenché chez lui un comportement agressif. Ok, et maintenant, on fait quoi ?
Si l’on retente la même action, de la même façon, il y a fort à parier que les conséquences seront identiques voire pires, l’animal étant encore plus stressé et/ou en colère (lui-aussi). Donc il vaut mieux revoir notre approche.
Pour cela, on peut adopter la démarche suivante :
L’acte que je veux réaliser est-il absolument nécessaire?
On nous apprend à l’école qu’un examen clinique doit être exhaustif, de la truffe à la queue. Mais est-ce vraiment toujours le cas, en particulier sur nos patients difficiles? Sur le plan médical, ça semble assez évident, mais sur le plan comportemental, le bénéfice est-il toujours supérieur au risque encouru?
Par exemple, sur un chien de 2 ans, sans souci médical, qui est vu pour son vaccin, a-t-on vraiment besoin de lui palper les testicules, acte particulièrement stressant pour pas mal de chiens? Et ce chat bourré de puces présenté pour des démangeaisons, connaître sa température rectale est-il si essentiel?
Rien n’empêche de ne pas réaliser une certaine partie de l’examen, si elle n’apporte aucune information réellement nécessaire (c’est à dire qui aura un impact sur la prise en charge que l’on mettra en place).
Dans ce cas, il faut juste bien l’expliquer au propriétaire. Voire lui proposer : “d’habitude, je prends la température pour faire un examen complet. Mais dans le cas de Kiki, qui est très stressé et ne supporte pas qu’on lui touche la queue, j’ai peur qu’il panique. Comme il ne présente aucun symptôme évoquant une hyperthermie, j’aimerais éviter de lui faire subir ce stress, qui risquerait de m’empêcher de lui faire son injection de vaccin ensuite, s’il ne me laisse plus le toucher. Qu’en pensez-vous?”
Si l’on veut pouvoir faire l’injection avant que l’animal ne soit fou furieux, il est parfois tentant de commencer par faire l’injection, et de finir par l’examen. Si ça peut en effet permettre de faire l’acte le plus important (l’injection), puis de faire ce que l’animal sera encore prêt à supporter, la démarche est assez peu logique sur le plan médical… Si l’examen a pour but de valider que l’animal est en état d’être vacciné, c’est trop tard. Autant ne pas du tout l’examiner, pour ne pas risquer de le pousser dans ses retranchements, et donc lui laisser un mauvais souvenir alors qu’on aurait pu s’arrêter avant et rester sur une note moins négative…
Cette démarche peut présenter un intérêt si l’on veut observer un point précis en plus de l’injection (par exemple s’il présente un symptôme léger, qui ne contre-indiquerait pas la vaccination dans tous les cas). Alors, on peut se focaliser sur ce seul point, sans vouloir tenter un examen complet.
Mais dans tous les cas où l’examen est nécessaire pour savoir si l’on peut réaliser l’acte souhaité, alors il faudra trouver un moyen de faire cet examen…
L’acte que je dois réaliser est-il urgent?
En effet, est-il vraiment intéressant de se battre pour couper les griffes de ce Yorkshire, si on le revoit finalement la semaine suivante pour son détartrage? Ne pourra-t-on pas profiter de l’anesthésie?
Et ce chaton de 4 mois, qui ne sort pas de chez lui, ne pourra-t-on pas lui poser sa puce électronique 2 mois plus tard, au moment de l’anesthésie pour sa stérilisation? Bien sûr, il y a un risque qu’il soit perdu s’il se sauve entre temps. Mais il y a aussi un risque qu’on le traumatise à vie du vétérinaire si ça se passe mal à 4 mois, et donc que l’on diminue grandement ses chances quand il aura besoin de soins plus tard… Tout ceci doit être discuté avec les propriétaires à mon sens, selon le risque (notions de niveau de risque et de risque acceptable).
Si le soin nécessaire n’est pas urgent, il pourra être intéressant de le différer, pour permettre de le faire dans de meilleures conditions.
J’ai eu par exemple le cas d’un chat que la propriétaire amenait tous les 2 mois pour lui faire couper les griffes. La bête était très très peu coopérative en temps normal. Ce jour-là, sans que l’on sache exactement pourquoi (je voyais ce chat pour la première fois, et j’avais mis en place différentes petites choses qui avaient pu aider…), j’ai pu couper les griffes des deux antérieurs sans contention, sur un chat clairement stressé mais sans réaction agressive. Disons qu’il prenait beaucoup sur lui. J’aurais voulu m’arrêter là, pour récompenser ainsi ce bon comportement, et lui laisser un moins mauvais souvenir que d’habitude, pour lui montrer que ça pouvait aussi se passer comme ça. Mais la propriétaire a refusé. Elle avait fait le déplacement, pris le temps d’amener le chat, elle voulait que les griffes des quatre pattes soient coupées, coûte que coûte… A l’époque, je n’ai pas osé refuser. Alors j’ai commencé à vouloir couper les griffes des pattes arrières, le chat s’est énervé, on a dû le contenir, il a fait ses besoins… Vous visualisez bien ce genre de situation que l’on a tous déjà vécu. Et le chat et moi avons gardé ce traumatisme : pour lui une mauvaise expérience de plus, pour moi le regret d’être passée à côté d’une expérience plus apaisante pour ce chat, qui aurait pu finir par se laisser couper les griffes sans difficulté si on avait pris le temps, et qui aurait peut-être même pu permettre à la propriétaire de le faire elle-même à la maison…
Sur un animal qui commence tout juste à monter dans les tours, il peut même parfois suffire de le laisser souffler un petit moment, le temps d’une petite pause dans la voiture ou d’une petite balade sur le parking. On peut avoir l’impression de perdre du temps, mais on en gagnera toujours plus si cela fonctionne qu’à vouloir terminer tout de suite, et devoir se battre avec l’animal cette fois et les suivantes…
Que puis-je mettre en place pour réaliser cet acte urgent?
De nombreuses techniques peuvent alors être mises en place pour limiter le stress lors de la réalisation de l’acte qu’on ne peut pas différer. Elles peuvent aller d’une simple distraction avec de la nourriture jusqu’à une sédation appropriée, selon le niveau de stress de l’animal et le caractère invasif ou douloureux de l’acte.
Dans ce contexte, on reste dans des conditions difficiles, et il faut être conscient qu’on fera au mieux, même si ça ne sera pas parfait. Chacun fait de son mieux…
Comments